Niveau de vie

 

Sommaire:

Un peu de méthode

Les salaires, 1560-1600

Le niveau de vie en 1563

L'évolution du niveau de vie pendant les guerres de religion

 

Le niveau de vie, si c'est un concept qui résiste à la quantification absolue, et ce d'autant plus que l'on essaye de l'estimer d'un pays à l'autre, ou d'une période historique à une autre, est néanmoins ce qui peut caractériser la façon dont la population vivait dans cette fin du XVIe siècle. Ici, nous allons tenter d'en donner une illustration sur la base de ce qui était essentiel à l'époque, du moins pour la majorité du peuple, l'alimentation. On ira plus loin dans l'article traitant de l'inflation.

 

 

 

 

Un peu de méthode

 

 

Le but de cette analyse est double, d’une part estimer sur la période 1560-1590 l’évolution du coût de la vie par rapport aux salaires, et d’autre part comparer le coût de la vie dans cette période à celui de notre époque(1). Cela nécessite d’avoir une cartographie des prix dans cette fin du XVIe siècle, d’avoir une estimation des salaires, et d’avoir l’équivalent pour 2013. Même si nous serons capable de faire des comparaisons, il ne faut pas perdre de vue les limites et difficultés inhérentes à cet exercice. Difficultés qui d’une part découlent des trois postes énoncés ci-avant, les prix, les salaires, les équivalences avec 2013, mais aussi de manière fondamentale ce que recouvre le concept de niveau de vie, concept étroitement lié à des cultures, à des us et coutumes, à la société pour laquelle on fait l’exercice. Il est toujours difficile de comparer des niveaux de vie entre pays et encore plus d’une époque à l’autre tant cette notion recouvre des éléments subjectifs et sociaux. Les besoins, au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la vie humaine, c’est à dire l’alimentation principalement, évoluent de manière continue, et rendent parfois vaine la recherche d’une mesure absolue – le panier - du type de ce que nous essayons de faire pour mesurer l’inflation ou le niveau de vie dans notre monde moderne. Ainsi, par exemple, si en 2013 on peut avoir l’impression qu’un salaire minimal ne permet plus de pouvoir vivre normalement par rapport au souvenir des années 1970, on oublie souvent qu’au delà des besoins fondamentaux, nourriture, logement, chauffage, le monde de l’informatique et de la communication a créé de nouveaux besoins tels les téléphones portables, les ordinateurs ou la télévision, qui parfois passent, dans l’ordre des priorités, avant la nourriture elle même.

 

 

 

 

 

 

 

 

L'apiculteur - Pierre Brueghel l'Ancien - Vers 1568

 

Pour ce qui concerne les prix, les incertitudes quant à leur estimation par rapport à une quantité donnée sont importantes. Les disparités constatées proviennent d’une part de la relative pauvreté des sources, de prix donnés « à la pièce » sans précision du poids ou de la taille, d’éventuelles erreurs de transcription, mais aussi de mouvements conjoncturels tels le siège de Paris en 1591, les aléas liés aux guerres de religion ou les aléas climatiques. Les unités sont aussi sources d’incertitudes ; le même nom recouvre des réalités différentes d’une ville à l’autre, et les rapports entre les unités ont pu varier au cours du temps. Enfin, le prix du transport pouvait faire varier les prix d’une manière importante entre deux villes, mais aussi au cours du temps quand les progrès techniques ou des infrastructures permettaient d’en diminuer le coût. Dans son étude des prix et des salaires à Paris au XVIe siècle ([163]), Micheline Baulant montre combien ces frais de transport pouvaient significativement affecter le prix des denrées. Elle cite en particulier le transport d’un « muid et demi de plâtre de Bagnolet à Créteil qui représentait en 1505, 119% du prix de la marchandise, 75 % en 1529 pour porter 10 sacs de Meudon à Villacoublay, 60% en 1530 sur le même trajet, 40 à 45% en 1581 pour voiturer plusieurs muids des Blancs Manteaux à Montrouge. ».

 

 

Enfin, l’estimation du niveau de vie nécessite d’avoir une connaissance du niveau des salaires, ce qui au delà de ce qui est mentionné pour le prix des marchandises, est d’autant plus difficile que le nombre de journées travaillées dans l’année, ou le nombre d’heures dans la journée ne sont pas forcément accessibles, et sont attachés d’une marge d’incertitude importante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Intérieur de cuisine (pelerins d’Emmaus) – fin du XVIe, début du XVIIe

Dans les données que nous avons sur les salaires au XVIe siècle, nous trouverons des salaires journaliers, des salaires à la tâche et des salaires annuels. Si on veut comparer les niveaux de vie, on recalculera le montant disponible par jour (revenu journalier) de la même façon que ce que nous ferons ci-dessous pour 2013. Par contre, si on veut estimer le nombre d’heures de travail nécessaires pour acheter un produit donné, on se servira du salaire horaire « réel ». Pour appliquer cette méthode, il faut préciser la durée du travail au XVIe siècle. Le nombre d’heures travaillées par jour pouvait dépendre de la saison. Par exemple au début du siècle la durée de la journée de travail était de 14 h en été et de 12 h en hiver(2) ; le salaire lui même pouvait, loi de l’offre ou de la demande, ou efficacité différente, varier de manière importante en fonction de la saison ; enfin il n’était pas évident que tout un chacun puisse se trouver un emploi pour tous les jours ouvrés. Dans ce qui suit on supposera que la durée de travail journalière était de 12 h, que tous les jours ouvrés étaient travaillés et enfin qu’il n’y avait pas de variation saisonnière des salaires. Pour ce qui concerne le nombre de jours travaillés, on retiendra 275.(3)

Pour les salaires (gages) donnés par an, et pour lesquels la personne était nourrie et logée, on rapportera ceux-ci au nombre de jours ouvrés (275), et on rajoutera l’équivalent des avantages en nature journaliers corrigés par le rapport 365/275. Pour le salaire horaire, on considérera qu’ils ne travaillent que 12 heures par jour et les jours ouvrés. Il est nécessaire d’évaluer la valeur de ces avantages en nature. Pour ce qui concerne le logement, Claude Haton indique que la nuit à l’hostellerie valait 12 deniers en 1563, soit un sou. On ne peut pas prendre cette valeur comme base pour les employés qui ne devaient certes pas pouvoir se payer des nuits à ce niveau de prix. Une valeur de 30% me semble raisonnable, d’où 4 deniers/nuit(4).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour ce qui concerne les repas, on ne peut pas non plus prendre les coûts donnés dans les hostelleries, surtout quand on considère la quantité des aliments donnés lors de ces repas. On a reconstruit, sur la base de deux repas « type », l’évolution du coût de l’alimentation par jour depuis le début du siècle jusqu’à sa fin. Pour cela on a utilisé d’une part l’évolution donnée par Micheline Baulant ([263] & [157]) pour une série de denrées alimentaires, et le prix du pain provenant de l’ouvrage de Claude Haton que l’on a estimé sur l’ensemble de la période en considérant qu’il était proportionnel au prix du froment tel que donné par Micheline Baulant. La « façon » du pain en effet ne dépassait pas les 15% de son prix(5).

 

 

 

 

Cela donne l’évolution suivante pour un repas dit « moyen »(6) correspondant à 3500 kcal/jour(7), et pour le repas d’un militaire(8), tel que donné par l’abbé E. Barbe ([51]) et qui correspond à 5800 kcal/jour ; on a de plus représenté l’évolution du coût de la nourriture pour une famille de 4 personnes(9).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La nuitée et la nourriture pour un jour représenteraient donc pour :

  • la période 1561-1565, 1,66 + 0,33 = 2 s.t.(10)/jour
  • la période 1571-1575, 2,81 + 0,48 = 3,3 s.t./jour
  • la période 1585-1589, 3,81 + 0,66 = 4,5 s.t./jour
  • la période 1594-1598, 4,9 + 0,49 = 5,5 s.t./jour.

 

 

 

 

 

Reconnaissant ces difficultés, on a néanmoins tenté de faire un exercice en utilisant les prix recueillis par Claude Haton dans ses mémoires ([155]) et les données relevées par Micheline Baulant ([163]) sur les salaires et les prix à Paris à la fin du XVIe siècle(11). On retiendra donc comme année de référence l’année 1563.
Pour ce qui concerne le salaire en 2013, on a pris comme référence le SMIG, en supposant que celui-ci est perçu par un employé travaillant à temps plein. Pour se rendre indépendant des durées annuelles de travail, on a considéré le salaire annuel qui est constitué du salaire journalier (35 heures par semaine donc 7 heures par jour), multiplié par le nombre de jours ouvrables, c’est à dire 5 jours par semaine sur 52 semaines. Le nombre de jours travaillés dans l’année est ainsi de 260 jours(12). Le SMIG horaire net étant de 7,39 €/h au premier janvier 2013, le salaire journalier est de 51,73 €, et le salaire annuel de 13450 €. Le salaire dont dispose la personne pour vivre par jour est donc ce dernier montant divisé par 365, ce qui donne 36,85 €/jour (revenu journalier).

On a déjà évoqué les difficultés liées à l’utilisation de données sur les prix au XVIe siècle, pour ce qui est du monde moderne, et même si on se restreint à la sphère alimentaire, les difficultés peuvent être équivalentes. Que l’on prenne le vin pour lequel, même en restant dans le domaine du raisonnable, le rapport entre les prix les plus hauts et les prix les plus bas dépasse dix, ou que l’on considère la viande ou le pain, pour lesquels des rapports de trois à cinq ne sont pas rares entre les différentes qualités que l’on peut trouver dans le commerce, définir une valeur moyenne précise est une gageure. L’exercice a néanmoins été fait en prenant pour la majorité des cas, les prix donnés sur les sites internet des supermarchés(13). Il est de plus pratiquement impossible d’établir une correspondance en termes de qualité entre les produits actuels et ceux de l’époque considérée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les salaires, 1560-1600

 

Nous allons tâcher d’évaluer les salaires de catégories de travailleurs comparables à celles qui aujourd’hui, correspondent à un salaire égal au salaire minimal (SMIG). Pour cela on restreint l’analyse aux ouvriers du bâtiment, au petit personnel de l’Hôtel-Dieu, aux ouvriers agricoles et aux militaires (les hommes du rang).

 

 

 

Les ouvriers du bâtiment :

 

Salaires journaliers du batiment, 1561-1598

 

Pour la première catégorie, les ouvriers du bâtiment(14), et sur les trois périodes 1561-1565, 1571-1575, 1581-1585-1589 et 1594-1598, on obtient le graphique ci-après. On notera un écart important, allant du simple au double, entre le simple manœuvre et les ouvriers « qualifiés » qu’étaient les maçons, couvreurs ou charpentiers. On notera aussi une augmentation importante entre la première période et la troisième, les salaires doublant en 25 ans.

Micheline Baulant dans [164] indique que le salaire du manœuvre n’est pas sur les chantiers parisiens le plus bas salaire constaté. En effet lors des grands chantiers, on trouve dans les livres de compte des salariés qui touchent la moitié du salaire des manœuvres. Ainsi, pour la période 1561-1565, ces plus bas salaires seraient de l’ordre de 3 sous par jour, 4,5 sous en 1571-1575, 5,8 sous en 1585-1589 et 5,2 sous pour 1594-1598.

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le personnel de l’hôtel Dieu:

 

Salaires du personnel de l'Hôtel-Dieu,1560-1600

Micheline Baulant donne l’évolution des gages et des salaires du personnel de l’Hôtel-Dieu. Les gages ne représentent qu’une partie de la rémunération perçue par ce type de personnel qui était nourri et logé. Les valeurs prises en compte pour ces avantages en nature sont celles données au chapitre précédent. Les salaires les plus bas pour ce type de personnel dans la période 1561-1565 étaient donc de l’ordre de 4 à 5 sous par jour, la moitié étant représentée par les avantages en nature. On a représenté ces « salaires » sur le graphique ci-dessous, en distinguant la partie correspondant aux avantages en nature par un rectangle orange.

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les travaux agricoles:

 

Salaires des métiers de l'agriculture, 1560-1600

 

Pour les vendangeurs(15), le salaire était complété par le manger et le coucher. On obtient 4 s.t./jour pour les coupeurs, et 6 s.t./jour pour les hotteurs pour la période 1561-1565. Le travail au pressoir, ou les travaux divers dans les vignes étaient payés respectivement 3,5 s.t./jour et 3,6 s.t./jour.


Pour ce qui concerne le jardinage, on a 5,63 s.t./jour dans la période 1571-1575 et 13,5 s.t./jours dans la période 1585-1589, augmentation qui n’est pas du tout celle que l’on constate pour le travail au pressoir, ou les travaux divers dans les vignes alors que dans la période 1571-1575 les trois salaires étaient au même niveau. Mais Micheline Baulant ([163]) précise qu’il faut prendre avec prudence ces valeurs, les salaires pouvant, compte-tenu de ses sources, être plus caractéristiques de la personne que de la fonction. On peut néanmoins supposer qu’en 1563, le salaire des jardiniers était inférieur à 5 s.t./jour.

 

Les travaux de labour étaient payés à la tâche. On entendait par « labour » l’entretien d’une parcelle de vigne sur la durée de l’année. Pour la période 1561-1565, le prix payé était de 10,4 l.t./arpent, ce qui pouvait correspondre à 6 à 7 s.t./jour(16). La façon d’un cent de provins(17) était elle rémunérée aux alentours de 5 s.t./jour. L’ensemble de ces valeurs est représenté sur la figure ci-dessous pour la période 1560-1600 ; les chiffres sont donnés en sols tournois par jour, à l’exception des moissonneurs dont le salaire est donné en sols tournois par arpent(*), et pour le travail à façon comme la constitution de fagots ou de falourdes(18).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les militaires:  

Répartition des soldes de l'armée du duc d'Epérnon

 

Pour les militaires on utilise une lettre patente(19) du roi Henri III sur le coût de l’armée du duc d’Epernon en 1586. Les coûts sont donnés par mois ; de façon à pouvoir être comparable avec les autres salaires, on calculera à partir de ces « salaires » un salaire moyen journalier en calculant le salaire annuel que l’on divisera par 365 (en supposant que, sur le principe, les militaires travaillaient tous les jours).

On obtient, pour l’année 1586, la répartition suivante des soldes en ne rajoutant aucun avantage en nature(20) (en abscisse le montant du « salaire » en sous tournois et en ordonnée le nombre de personnes concernées). Si on s’intéresse aux bas «salaires»(21), et si on suppose que le rapport entre ceux-ci et ceux que l’on devait avoir dans la période 1561-1565 est égal à celui du manœuvre parisien, on aurait pour la période 1561-1565 une solde de l’ordre de 3 à 4,2 sous tournois par jour.

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Conclusion sur les salaires de référence:

Compte-tenu de ce qui précède, on obtient pour 1563 :

  • Manœuvre, 6 s.t./jour
  • Employés, 3 à 4 s.t./jour
  • Ouvrier agricole, 4 à 5 s.t./jour
  • Militaire (homme du rang), 3 à 4 s.t./jour.

On retiendra pour l’année 1563 un salaire « minimum » de 4 sous tournois par jour. Pour les autres périodes on appliquera les rations calculées sur la base de l’évolution du salaire des manœuvres, soit pour les périodes :

  • 1571-1575 : 4x9/6,13 = 5,87 s.t./jour ;
  • 1581-1585 : 4x11,6/6,13 = 7,6 s.t./jour ;
  • 1594-1598 : 4x10,4/6,13 = 6,8 s.t./jour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le niveau de vie en 1563

 

Nombre d'heures pour acheter une quantité de denrées, pour un salaire de 4 s.t./jour.

L’ordonnance reproduite par Claude Haton fixant les prix des denrées à l’auberge, définit aussi les prix maximum de certains produits chez les détaillants, « bouchers, poissoniers, poulaillers et revandeurs »  : « pour ce que si ce reglement n’estoit donné aux vivres, tant de chair et poisson que aultres, pourroit advenir grande perte auxdits hostelliers, et demeuroint lesdits habitans des villes au surplus incommodé »; pour la viande l’écart entre les deux prix est de l’ordre de 6% à 8%, pour les poissons entre 9% et 20%, ce dernier étant atteint pour l’anguille, la moyenne étant aux alentours de 10% ; pour le beurre les deux prix sont égaux. Pour constituer le graphique ci-dessous, on a considéré les prix tels que définis pour les détaillants quand ils étaient donnés, si non, ceux fixés pour l’auberge. On a divisé le prix pour une quantité de référence : un kilogramme pour la viande, le beurre, les pois, …, un litre pour les liquides, la douzaine pour les œufs, par le salaire horaire minimum tel que calculé ci-avant ; on représente donc le nombre d’heures de travail effectif nécessaire pour acheter une quantité de référence, pour un travailleur touchant le salaire minimum tel que défini ci-avant pour 1563.

La grande disparité observée, de 1,7 heures pour le coût d’un cent d’écrevisses à 36 heures pour le brochet provient du choix fait de calculer ces coûts pour des quantités arbitraires qui ne rendent pas compte de l’apport énergétique des aliments ni de la qualité de ceux-ci.
La distribution reproduite sur le schéma ci-après donne pour chaque aliment considéré, et pour la quantité représentant un apport énergétique de 1000 kcal(22), son équivalent en heure de travail pour le salaire minimal tel que déterminé au paragraphe précédent, soit 4 sols tournois par jour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nombre d’heures pour un salaire de 4 s.t./jour pour un apport énergétique de 1000 kcal.

En particulier on notera que le lard coûtait près de trois fois plus que la viande au kilogramme alors que son coût était à peu près le même pour un équivalent énergétique de 1000 kcal. Pour ce qui concerne les poissons, si le prix de la carpe semble abordable, même si 30% plus élevé que celui de la viande, ceux de la perche, du brochet et de l’anguille les apparentent à des mets de luxe. On notera aussi la différence importante du prix du beurre entre les deux périodes correspondant d’une part à la période allant de Pâques à Septembre, soit printemps-été, de celle allant d’octobre à Pâques, automne-hiver, le prix dans la deuxième période étant près de deux fois plus élevé que pour la première période. L’origine pourrait se trouver dans la relative plus grande abondance du beurre quand les vaches peuvent manger dans les prés par comparaison aux périodes d’étable et de foin. Enfin l’huile d’olive, apparaît comme étant très chère, cela est d’ailleurs confirmé par l’analyse suivante qui compare les prix 2013 à ceux de 1563 ; sans doute une des conséquences du transport de cette huile depuis les régions productrices du midi de la France.

Pour en revenir à l’huile, René Baehrel donne(23) l’évolution du prix de l’huile à Aix entre 1570 et 1600, qui varie en moyenne entre 4 et 5 sous par litre, ce qui est significativement inférieur au prix à Provins en 1563 qui était de 7,9 s.t./l dans la période 1561-1565 et 9,4 s.t./l pour la période 1571-1575. On retrouve ces différences régionales dans le prix du vin qui, à Provins, était de l’ordre de 2 à 3 sous par litre dans la période 1571-1575, alors qu’à Aix il était de l’ordre de 1 sou par litre.
Si on s’intéresse au pain et au vin, bases de l’alimentation, on notera qu’il fallait trois fois plus de temps de travail, pour un même apport énergétique, pour se procurer du vin que du pain. On valorisera ainsi d’autant plus l’avantage que constituait pour certains travaux la fourniture pendant la journée de travail de vin ou de bière.

On a comparé ensuite ces valeurs à ce que l’on obtient en faisant le même exercice en 2013 en utilisant comme base salariale le SMIG ;  on a représenté sur le diagramme suivant le rapport des deux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comparaison des prix en heures de travail du salaire minimum entre 1563 et 2013

Si à l’exception notable des écrevisses(25), tous les produits étaient plus chers en 1563, d’un facteur allant de 1,5 pour le veau à près de 40 pour l’huile d’olive, on constate quatre grands ensembles de denrées :

  • celles pour lesquelles le nombre d’heures de travail nécessaire en 1563 était entre une fois et deux fois le nombre d’heures de travail en 2013 ; on trouve principalement la viande ; on remarquera néanmoins l’étonnante cherté du lard, qui nécessitait en 1563 près de 30 fois plus de travail qu’en 2013 ;
  • celles pour lesquelles il fallait travailler de 4 à 7 fois plus en 1563 qu’en 2013 pour les acquérir, et qui sont représentées par le vin, le pain, les pois et la morue ;
  • celles qui étaient beaucoup plus chères en 1563 qu’en 2013, et qui sont représentées par les poissons, de 10 à 20 fois plus « onéreux » au XVIe siècle, le beurre, de 20 à 40 fois plus onéreux, l’huile d’olive,…
  • et enfin celles qui étaient moins chères en 1563, peu nombreuses il est vrai, et qui ne sont représentées dans le graphique que par les écrevisses et le verjus.

En particulier, et pour ce qui concerne donc les denrées alimentaires de base, le prix du pain était « cinq fois plus élevé » qu’il ne l’est aujourd’hui, le prix de la viande entre une fois et demi le prix actuel pour le bœuf et cinq fois pour le porc, traduisant l’évolution des prix dans nos sociétés actuelles où le bœuf est significativement plus cher que le porc (plus de deux fois plus aujourd’hui alors que le bœuf était moins cher de près de 20-25% que le porc en 1563).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prix des volailles en « heures de travail » à Provins en 1563.

La deuxième liste a été utilisée pour les pièces de volaille et le gibier, denrées qui ne figurent pas dans la liste précédente (on retiendra donc qu’il faudrait y rajouter de l’ordre de 10% si on voulait comparer ces prix à ceux des denrées couvertes dans la première liste). Pour celles-ci, les équivalences sont données à la pièce.

Même si l’incertitude qui pèse sur les quantités est importante, on peut identifier les mets de luxe, en particulier le gibier particulièrement prisé par la noblesse. L’exemple de menu donné au § 5.8.1 l’illustre parfaitement. On notera en particulier les bisets(24), les pigeons, les lapins (connins), la grive ( !), la bécasse ( !), …. Si une poule, pour laquelle il fallait 13,5 heures de travail pouvait peser de 1 à 1,5 kg, la grive qui ne dépasse guère 100 g nécessitait elle donc plus de 30 heures de travail.

On a fait le même exercice que précédemment sur les volailles et le gibier, les résultats sont présentés sur le graphique ci-dessous. Il traduit, comme le précédent, un niveau de prix très élevé en 1563. Par contre, certains mets de luxe en 1563 le demeurent en 2013, tels la bécasse, la grive, le chapon, …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Proportion du salaire pour la nourriture en Alsace

La proportion des salaires qui devait être consacrée à la nourriture était donc significativement plus élevée en 1563 qu’en 2013. Si on revient à notre estimation du prix d’un repas raisonnable, on obtient de l’ordre de 2,5 s.t./jour en 1563, soit 62% du salaire journalier minimal, alors que l’on peut trouver aujourd’hui des repas aux alentours de 15 €, ce qui représente 29% du salaire journalier net minimal(26). D’Avenel(27) donne en Alsace, pour les manœuvres et les maçons, la proportion du salaire qui devait être consacrée à la nourriture. Pour la période 1551-1575 il est indiqué que 52% du salaire était nécessaire pour la nourriture pour un maçon, cette valeur augmentant à 61% pour un manœuvre.

On peut faire le même exercice en comparant des métiers équivalents, et non pas une estimation à priori des salaires minimum. On a utilisé pour cela le document annuel publié par UBS, « Prix et salaires 2012 : une comparaison du pouvoir d’achat dans le monde » ([258]). On a utilisé pour cela le « manœuvre », en retenant la valeur de 6,13 s.t./jour en 1563, et en le comparant au salaire des manœuvres dans les différentes villes du monde, en prenant en compte le niveau des prix locaux, en prenant comme étalon le prix d’un kilogramme de pain. En faisant cela on obtient la comparaison représentée sur le graphique ci-après.

Tout en reconnaissant le caractère très simplificateur de cette démarche, on pourrait comparer Paris en 1563 aux villes de Delhi et Bangkok en 2012. Par contre la vie à Caracas et à Manille aujourd’hui apparaît comme beaucoup plus précaire que ce que l’on pouvait observer au XVIe siècle dans la capitale du royaume de France.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'évolution du niveau de vie pendant les guerres de religion

 

Nous n’avons pas pour cette période des informations aussi précises que celles que l’on a pu trouver chez Claude Haton pour l’année 1563. On a utilisé les données de Micheline Baulant(28), qui couvrent un éventail plus restreint, mais qui peuvent donner une bonne idée de l’évolution globale des prix. On a vérifié sur les exemples de Claude Haton ([155]), que les prix donnés par Micheline Baulant étaient comparables pour la période 1561-1565. On a représenté sur le diagramme ci-après l’évolution du nombre d’heures nécessaires à un salaire minimum pour s’acheter une quantité unitaire (kg, l, …) des produits mentionnés, retenant la valeur de 1 pour la période de référence 1561-1565. On constate un doublement en moyenne du prix de ces denrées entre la période 1561-1565 et la fin du siècle. On insistera sur le fait que ce sont des prix pour la ville de Paris, et qu’ils sont représentatifs à la fois de sa position géographique et des épisodes troublés liés aux guerres de religion.

 

 

 

 

 

 

Malgré ces augmentations significatives, le coût de la vie, du moins pour ce qui concerne les prix des denrées alimentaires, ne semble pas avoir baissé de manière significative comme on le voit sur le graphique de droite (Sur cette figure, c’est le rapport entre le nombre d’heures nécessaires pour acheter une quantité donnée de denrées sur chacune des périodes retenues par rapport à la période 1561-1565). Si pour les pois et le vin l’augmentation atteint presque les 50%, pour les autres denrées les prix sont restés stables(29), voire ont décru.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes
(1) Plus précisément, l'année 2013
(2) Micheline Baulant, [164]
(3) En particulier en suivant Léon Le Grand dans on ouvrage sur l’hôpital des Quinze-vingts ([264]) qui indique une moyeenne de 272 à 277 jours par année.
(4) On considérera que ce coût suit l’évolution du prix du froment, ce qui donne 0,61 s.t./jour pour 1571-1575 ; 0,72 s.t./jour pour 1585-1589, et 0,96 s.t./jour pour la période 1594-1598.
(5) [264], tome 2, pages 83 et suivantes
(6) 1 kg de pain, 110 g de viande, 2 l de vin, 50 g de pois, 20 g de beurre.
(7) On estime la quantité nécessaire de l’ordre de 2100 kcal/jour pour une activité faible, et de 3500 kcal/jour pour une activité soutenue.
(8) 1,63 kg de pain, 730 g de viande et 0,9 l de vin par jour.
(9) On a supposé qu’il fallait de l’ordre 3500 kcal pour l’homme et de l’ordre 3000 pour chacun des autres membres de la famille. Le total énergétique correspondant à la courbe traçée est de 12750 kcal.
(10) d.t. = Deniers tournois / s.t. = Sous tournois / l.t. = livre tournois
(11) Elles présentent pour la période 1561-1565 une cartographie assez complète des prix d’un ensemble de produits de la vie courante
(12) On considère ici que les jours fériés, ou les jours de congés sont « travaillés » car payés.
(13) [255]
(14) Micheline Baulant, [163]
(15) [163], les calculs sont faits dans [255]
(16) Voir [255]
(17) Le provignage est employé pour rajeunir les vieilles vignes ou pour obtenir des plants enracinés. Il s’opère immédiatement après la taille. Pour y procéder, on choisit un cep qui ait, autant que possible, trois ou quatre brins de force égale ; on creuse au-dessous du cep que l’on veut coucher, des fosses de quinze à seize pouces de profondeur et de trois pieds de longueur sur un pied de largeur. On relève le cep, on le dépouille de ses racines surabondantes, on l’étend dans la fosse, on recourbe avec précaution les branches en demi-cercle, on les assujettit avec un crochet de bois pour qu’elles ne se dérangent pas, et l’on redresse presque perpendiculairement leur extrémité sur le bord extérieur de la fosse. Les provins se taillent à deux ou trois yeux au-dessus du niveau du sol. Au bout d’un an on sèvre les provins : ils sont alors assez enracinés pour se suffire à eux-mêmes ; mais il vaut mieux ne pas les séparer de leur mère. Quand le provin a été bien fait, il donne quelques raisins dès la première année ; à la seconde il est déjà dans toute sa force. [267]
(18) Fagot de 4 ou 5 bûches courtes liées aux deux extrémités.
(19) On notera en particulier que pour cette période on a calculé le coût d’une journée en nourriture plus coucher à une valeur de l’ordre de 7,2 s.t./jour pour un repas « moyen » qui n’était pas celui des soldats.
(20) Le rapport entre la solde du soldat et celle du duc d’Epernon est de l’ordre de 100. Aujourd’hui, un général de division perçoit un salaire brut de l’ordre de 6400 €/mois alors qu’un homme du rang perçoit un salaire de 1800 €/mois ([www.auservicedumilitaire.com]); ce facteur de 3,5 est bien loin des différences de traitement des hommes dans les armées du XVIe siècle…
(21) [222]: Estat de la despense que le Roy à ordonné estre faite par chacun mois pour le payement tant de la gendarmerie que des gens de guerre à pied & à cheval … pour estre exploictée par monsieur le duc d’Espernon… faite le 2 juillet 1586.
(22) Soit de 20% à 50% de la ration journalière (voir ci-avant)
(23) [158]
(24) Pigeon
(25) … qui devaient se trouver en beaucoup plus grande quantités dans les rivières non polluées de la France du XVIe siècle
(26) Il faut noter ici que l’on ne prend pas en compte les avantages dont on dispose aujourd’hui quand on est salarié, en particulier l’assurance maladie et l’assurance choôage qui devaient, en 1563, être couvertes par le salaire perçu seulement.
(27) « Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général depuis l’an 1200 jusqu’en l’an 1800 », [263] tome 7, pages 413 et suivantes.
(28) « Prix et salaires à Paris au XVIe siècle ; sources et résultats », [163]
(29) On notera néanmoins l’augmentation très importante du prix du sel qui double sur la période, et ce sans même considérer l’augmentation de la gabelle, qui si importante, on l’a vu, en valeur absolue, ne l’est pas en valeur relative.
(30)  
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